L'Inde, documentation, histoire contemporaine, Les castes, l' Hindouisme, le Cachemire, le Rajasthan. Voyages au Rajasthan de Daniel Ginibriere, rêve, évasion, légendes, aventure, photos du Rajasthan

~ L' I N D E ~

Le Rajasthan
voyage 2011
Le Kérala
voyage 2015
-retour à l'accueil- Le Tamil Nadu
voyage 2015
Une histoire
de princesse


Les Indiens ne se représentent pas le temps qui passe,
par un sablier qui se vide,
mais par une roue qui tourne,
et retourne sans cesse au présent,
en passant par le futur et le passé.

Chapitre un
l'Inde des Maharajahs

Les cinq cent soixante deux états indépendants, dont le Patiala, où se passe l'essentiel de cette histoire imaginaire qui, comme un miroir, reflète l'exacte réalité, commence en 1932, ils occupent un tiers de la surface totale du pays, et concernent un quart de la population, le reste, c'est l'Inde britannique. Certains de ces états ne sont guère plus grand que le canton de Tours nord est, d'autres atteignent royalement la surface de la circonscription de Brive la Gaillarde, rares sont ceux ayant la taille d'un état viable. Quant à celui du Patiala, à un poil près, il atteint exactement la superficie de l'ancienne vicomté de Turenne au temps de sa splendeur. Tous placés sous la tutelle britannique, ils sont administrés par des princes, des rajahs, sorte de roitelets vivant pour nombre d'entre eux, dans un luxe indécent comparé à la misère de leur peuple.

Comme beaucoup de ses collègues, le rajah du Patiala avait un pied dans l'Inde profonde, et l'autre en Europe, un pied dans un monde féodal, et l'autre dans le vingtième siècle. D'un coté, il avait appris le Kama-sutra, de l'autre, les mathématiques, les langues étrangères, à douze ans, il parlait couramment l'anglais et le français. Mais il n'est pas si facile de concilier des cultures aussi différentes que l'anglaise, la française, l'hindou, la sikh.
Originaire du Pendjab, dont fait partie le Patiala, la doctrine sikh naît dans le contexte des rencontres entre la mystique soufie de la religion musulmane et une partie de la spiritualité hindoue et se fixe pour objectif de lutter contre le système des castes, et les anachronismes de l'hindouisme et de l'islam. La bible des sikhs c'est le Grand Sahib, ils se marient et baptisent leurs enfants devant elle, et, au moment de la mort, la famille du disparu lit à haute voix des chapitres entiers :

Acceptez ce livre comme étant votre maître,
Admettez que l'humanité est unique en elle même,
Il n'y a pas de différences entre les hommes,
Ils sortent tous de la même terre,
Hommes et femmes égaux,
Rien n'existerait sans les femmes,
Excepté le seigneur éternel, le seul
À ne pas dépendre d'elles...

Bercés par les enseignements du Kama-sutra, les rajahs disposent d'un harem plus où moins pléthorique. Mais ils rêvent d'Européennes, posséder une blanche est un signe extérieur de richesse, d'exotisme et de bon goût. À l'aise aussi bien en Orient qu'en Occident, le rajah voyage beaucoup, et aime Paris, qu'il considère comme la plus belle ville du monde. Féru d'architecture, comme tous ces roitelets pour qui la construction de palais était leur façon d'atteindre l'immortalité, il était fasciné par tous ces monuments. Il appréciait aussi la cuisine française, qu'il trouvait raffinée et plus variée que celle de son pays. Mais il aime plus encore les parisiennes et veut absolument en ramener une dans son palais. Il fréquente assidûment les Folies Bergère, et a déjà assisté aux spectacles menés par Mistinguett et Joséphine Baker. Il adore cette profusion de décors, costumes, d'effets de mise en scène et de danseuses nues. Ici tout est en filigranes, le magnifique, le grandiose, les tapis bariolés, ce mélange capiteux de luxe et de barbarie, ce goût pour les couleurs vives, ardentes, qui lui font penser à son pays, à l'Orient, cette terre de mythes et de prodiges dédié au plaisir et à la fantaisie.
Il allait draguer dans les coulisses, parlant aux filles, de ses voyages, de son pays, de son rôle de rajah, elles étaient fascinées, mais de la à accepter une invitation à dîner...alors il invitât à déjeuner, demain à midi, à la brasserie Lipp sur les champs. Marie, une belle plante presque aussi grande que lui , blonde, les yeux d'un bleu, incroyable, un sourire angélique...
- Tu es Suédoise ou Danoise ?
- Je suis née et j'ai grandi dans le petit village de Saix, au milieu des ceps du vignoble de Saumur Champigny.
À dix huit ans, la jeune fille assise en face du rajah, faisait preuve d'un aplomb pas ordinaire. Déjà habituée aux décors luxueux, vaporeux, aux lumières scintillantes, elle ne semblait pas impressionnée par la personnalité de cet homme plus âgé qu'elle, venu de de l'autre coté de la terre, et qui lui faisait la cour.
- C'est Joséphine Baker elle même qui a voulu que je fasse partie de sa troupe.
- Qui t'as appris à danser ?
- Personne, je suis allée voir les répétitions, et j'ai imité les filles. J'ai toujours aimé danser, faire le spectacle, le clown. J'aime bien me déguiser, ma fête préférée, c'est carnaval.
- Dans mon pays, c'est Holi qui remplace Carnaval, Holi, c'est la fête des couleurs, chaque année au mois de mars, la date exacte étant décidée par les astrologues, on s'asperge de poudres et peintures de toute les couleurs.
- Et pourquoi les astrologues ?
- Ah ! chez nous les astrologues font partie de notre vie, on les consulte pour toutes les décisions importantes. Et toi, tu es superstitieuse ?
- Pas vraiment, je me fis à mon instinct.
- L'intuition féminine...Ca fait longtemps que tu es danseuse ici ?
- Deux mois; Je prends aussi des cours, pour me perfectionner, j'espère un jour avoir mon propre spectacle, ma propre revue, être sur le devant de le scène, à la place de Joséphine, à moins que je rencontre mon prince... charmant !!!
- Mais tu l'as rencontré, ne suis pas charmant ?
La jeune fille sentit un coup de chaud l'envahir, mais ne se laissa pas désarçonner.
- Alors tu connais quoi de Paris, à part les Folies ?
- Les champs.
- Mais encore.
- La Place Vendôme.
- Ah ah !!! Es tu déjà aller au Louvre ?
- Non.
- Dommage !!! Par exemple tu pourrais y voir : un bar aux Folies Bergère, de Manet, un grand peintre français. Et puis je suis sure que tu serais séduit par l'aspect érotique de : Lola De Valence, et le déjeuner sur l'herbe...
- Toujours de Manet ?
- Oui, le déjeuner sur l'herbe, c'est connu. On peut aller les voir cet aprèm si ça te dit.
Le rajah était bluffé, sous le charme. Lui qui voulait l'emmener place Vendôme, lui faire choisir tous les bijoux qu'elle aurait voulu se faire offrir, voila qu'elle voulait l'embarquer au Louvre !
- OK on y va...

- Il faut que je rentre, c'est déjà l'heure de se préparer pour le spectacle de ce soir.
- Je serai la, au premier rang.
Chaque soir de la semaine que dura son séjour à Paris, il alla voir sa dulcinée.
Pour Marie, pas question de coucher, comme ça, dés le début. Le rajah n'insistât pas, il savait que cette fille, il l'aurait, quand il lui avait parler de l'épouser, d'en faire une princesse, d'en faire la maharani du Patiala, elle n'avait pas dit non, il fallait juste attendre que le mystère insondable de l'amour fasse son oeuvre pour qu'elle dise oui.
- Il faut que j'aille à Londres pour mes affaires, et celles de la principauté, et je repasse à Paris, avant d'aller prendre le bateau à Marseille, pour rejoindre mes ministres et mes sujets.
- À bientôt mon amour !
- À bientôt Altesse !.
Le séjour à Londres fut réduit à son strict minimum, car le rajah était impatient de rejoindre sa belle blonde.
Marie avait déjà informé ses parents, et ceux ci avaient invité leur fille et son soupirant à venir à la maison. Il s'agissait d'une maison bourgeoise, comme on en voit souvent dans ces pays où l'on fait du bon vin, car la viticulture de qualité a toujours bien nourri son homme. Rien à voir cependant avec les palais des maharajahs indiens. Les amoureux arrivèrent à Saumur par le train. Le père de Marie alla les chercher avec la voiture hippomobile familiale, un char à bancs spacieux tiré par un magnifique cheval. Le véhicule avait été repeint, équipé de coussins confortables, orné de tapis aux couleurs vives, et, s'étant renseigné sur les coutumes indiennes, le cheval lui même avait été décoré. Une fois leur hôte installé dans sa chambre, Marie et son père lui firent visiter la propriété et la cave creusée dans le tuffeau. La jeune fille et son père firent goûter les vins, ici c'est le même cépage, mais pas le même millésime, puis c'était le même millésime mais pas le même terroir..., quant aux vignes, en ce 15 août 1932, elles étaient magnifiques, une très bonne année en perspective. Une fois de plus le rajah était bluffé, s'apercevant que sa dulcinée était à l'aise partout, à Paris dans les magasins de luxe des champs, et dans les champs de son père, à l'ombre de la tour carrée de Loudun, à deux pas de cet endroit bucolique où la Vienne conflue avec la Loire, au pays des châteaux et de la douceur de vivre. Le rajah faisait forte impression, gentil, attentionné, galant, il parlait dans un français parfait, faisant preuve d'un humour raffiné, et d'une grande culture. Il connaissait très bien les châteaux de la Loire, et dit qu'il aimerait visiter celui de Montsoreau et l'abbaye de Fontevrault, dont il raconta la longue histoire. Bien sur il fut question de mariage, de princesse, de maharani, et de son pays dont il parlait avec amour et enthousiasme. Les parents de Marie n'étaient pas contre ce mariage, et dirent à leur fille que c'était à elle de décider. Marie non plus n'était pas contre, au contraire, cependant, une chose la turlupinait : Cet homme avait bien dix ans de plus qu'elle, il avait forcément déjà vécu, hors il n'avait pas dit grand chose de sa vie avant leur rencontre, il était même très fort pour esquiver ses questions. Dans le train du retour à Paris il lui raconta sa future vie de maharani.
- Un vrai conte de fée, dit elle.
- Il ne tient qu'à toi qu'il devienne réalité.
- Tu ne m'a pas dit grand chose sur toi.
- Bien sur j'ai déjà connu des femmes, mais c'est toi que je veux marier.
- De toute façon je ne peux pas venir maintenant avec toi, je dois finir mon contrat.
- Qu'est ce qui te fais hésiter encore ?
- Je vais consulter une voyante, dit elle avec malice, une astrologue, comme on le fait en Inde avant de prendre une décision importante.
- Ma chérie, tu as tout compris !
- Tu auras ma réponse très rapidement...
C'était l'heure du départ pour le rajah
Moins de deux semaines après, Marie écrivit à son prince, une lettre d'amour contenant le oui à sa future vie de princesse indienne.
Tandis qu'elle était en train de préparer ses affaires, elle reçue la visite de Lola, une indienne dans la trentaine, et vivant à Londres.
- C'est le rajah qui m'envoie, je suis votre dame de compagnie.
Le parcours de Lola, qui est la troisième fille de la quatrième épouse du maharajah de Bikaner, vaut la peine d'être raconté.
En Inde, tous les mariages sont arrangés par les parents, qui négocient le montant de la dot de la fille. La viabilité du futur ménage est vérifiée par les astrologues, suivant trente critères, au moins la moitié plus un doit être favorables. Les époux se voient pour la première fois lors de la cérémonie. Et c'est à partir de ce moment la qu'il s'agit de tomber amoureux, car le divorce n'existe pas. D'où le Kama Sutra, qui, contrairement à ce que l'on croit en occident, n'est pas seulement un recueil des innombrables meilleures positions pour faire l'amour. C'est beaucoup plus que cela, c'est un véritable livre de recettes pour développer la libido, créer durablement des rapports harmonieux au sein du couple et de la famille, régler les éventuels conflits, bien élever ses enfants, bref une vie de famille paisible et heureuse.
Comme tous les enfants de ces familles royales, Lola avait bénéficié d'un double enseignement, Indien et Européen. En France, elle avait appris la langue de Molière, à Londres, celle de Shakespeare. Ce système présentait un double avantage, évidemment les connaissances, la culture, mais aussi l'apprentissage d'un minimum de discipline. En effet, ces enfants devenaient souvent capricieux voire exécrables, car ils étaient entourés en permanence d'une nuée de domestique, qu'ils traitaient parfois de façon odieuse. En pension dans un collège, ils devenaient des enfants comme les autres, enfants de familles favorisées certes, mais tous astreints à respecter le règlement et le personnel de service. Un autre avantage pouvait devenir un problème, c'était l'ouverture d'esprit que cela entraînait.
Ainsi Lola, jeune adolescente, était tombée amoureuse, à Londres, d'un sujet de la puissance colonisatrice, et ne voulait pas de l'époux que sa famille lui avait réservé. Evidemment dans l'Europe de cette époque, il y avait aussi des mariages arrangés, mais c'était pas systématique. Ce genre de problème arrivait souvent, il se réglait généralement pendant les vacances au pays, où la pression de la famille venait à bout de ces amours d'adolescents. Mais Lola avait été plus rebelle et maligne que les autres. Elle avait cédé, pour repartir terminer ses études et en avait profité pour faire un enfant et se marier, mettant ainsi sa famille devant le fait accompli. Rejetée par les siens, elle n'était pas rentrée au pays.
Lola était une amie d'enfance du rajah, car leurs deux familles étaient très amis et se voyaient souvent. Pendant leurs enfances et même après à l'adolescence, les deux jeunes gens étaient amoureux l'un de l'autre, bien sur rien ne s'était passé, mais ils étaient resté très liés, ayant l'un pour l'autre une profonde estime et une grande tendresse.
Lola, désormais jeune veuve depuis peu de temps, s'était vu confier, lors du dernier séjour du rajah à Londres, cette mission de grande importance, être la dame de compagnie de la future maharani, conquérir sa confiance.
En effet, le rajah, de seize ans plus âgé que Marie, avait déjà trois épouses et sept enfants. Son aîné a dix-huit ans, soit le même age que sa future femme ! D'où ses réponses évasives, sa discrétion.

Début octobre 1932, Lola et Marie embarquent à Marseille sur un vaisseau de huit milles tonnes, le Point du Jour, en partance pour les Indes. Lola explique à Marie sa future vie de maharani du Patiala, car pour la dame de compagnie, les choses sont parfaitement claires. En faisant venir Marie, le rajah ne s'offre pas un objet sexuel de plus, il en a déjà autant qu'il veut, il ne veut même pas s'offrir une épouse de plus, non, ce qu'il veut, c'est vivre avec Marie à temps complet, en faire SA femme, ses autres épouses restant à la zénana où elles sont déjà avec les enfants. S'il a choisi Marie, c'est certes parce qu'elle est très belle, mais surtout pour son intelligence, sa classe, sa culture, ses aptitudes à s'adapter à toute les situations. Il se voit déjà à ses cotés dans les nombreuses réceptions où l'appellent les devoirs de sa charge, où elle va éclipser tout le monde par sa prestance, sa beauté exotique, sa conversation, sa culture, tout le monde va l'envier d'avoir une telle femme. Mais ici, en Inde, la répudiation n'existe pas, le divorce non plus, alors, il faudra qu'elle s'adapte.
Pendant ces quatre semaines de bateau, Lola commence à lui apprendre l'Hindi, l'une des quatorze langues officielles.
- Sera t'il la, à Bombay, pour m'accueillir ?
- Non c'est bien trop loin.
Précédée par les voitures chargées des bagages des deux femmes, une Rolls-Royce emmène Marie et Lola, à leur hôtel où une suite est réservée. Autour d'elles, pendant ce trajet, la foule grouille, les vélos, les piétons, les carrioles tirées par des ânes, les gens juchés sur des chevaux, des ânes et même des éléphants, vont et viennent dans tous les sens. Des vaches, des chèvres, des chiens déambulent nonchalamment. De nombreux marchands en plein air attendent le client ou vont le démarcher, ainsi que des cireurs de chaussures, des scribes, des astrologues. on vent même de l'eau sacrée du Gange. Des mendiants tendent la main. Dans ce fracas étourdissant, dans cette joyeuse cohue, un tramway bondé où des grappes humaines s'agglutinent à chaque porte, restées ouverte pour la circonstance, tente de se frayer un passage.
- Je ne sais pas où vont tous ces gens, mais ça bouge, c'est impressionnant.

Des le lendemain le voyage continue en train, convoi hétéroclite fait de marchandises et de voyageurs de toute conditions, mais chacun à sa place. Les wagons de troisième classe sont bondés. les gens aisés voyagent dans des voitures aussi confortables que celles de première classe faisant le trajet Paris Saumur, quand aux wagons des rajahs, réservés à leurs propriétaires, c'est le comble du luxe. Une voiture entière est à la disposition des deux femmes, avec cuisine, salle à manger, salon, chambres, salles d'eau avec baignoires. La cuisine est française et indienne, arrosée d'eau minérale, et de vin de Saumur Champigny. Un wagon attenant est réservé aux serviteurs, aux bagages, à la logistique. Les principautés défilent pendant ce voyage, Lola explique la géographie et les différentes traditions indiennes. Le réseau de chemin de fer, plutôt dense en Inde est pour le moins pittoresque voire fantaisiste, chaque prince est propriétaire de la ligne qui traverse son état, ici deux kilomètres, là une centaine. Les innombrables changements, l'absence de coordination obligent à s'arrêter dans des villages souvent typiques et merveilleux. Au bout de deux jours, ponctué de nombreux arrêts, annoncé par des coups de sifflets stridents, c'est l'arrivée au Patiala. Un mélange de joie, d'inquiétude et d'excitation l'envahie car elle pense à tout ce qu'elle ignore de sa future vie et de celle de son futur époux, comme si son conte de fée pouvait cacher quelque chose...
- J'espère que cette fois, le rajah sera à la gare pour m'accueillir.
- Non Marie, car, officiellement il est sensé ne t'avoir jamais vu avant le mariage. Mais une fois arrivé au palais, pas de problème.
Une magnifique Rolls-Royce attend, elle y prends place et ne tarde pas à faire son entrée au palais où son futur mari la kidnappe et lui réserve l'accueil délicieux tant attendu.
Evidemment, lorsque Marie apprend la vérité elle s'écroule en larmes.
- Je veux rentrer en France !
C'est Lola qui est chargée de recoller les morceaux.
- Le rajah et moi, nous nous connaissons depuis notre plus tendre enfance, j'ai entièrement confiance en lui, c'est un honnête homme juste et bon, jamais je n'aurai accepté cette mission si je n'étais pas sure qu'il tiendra toutes ses promesses.
Mais la jeune fille ne voulait rien entendre.
- Calme toi, prend le temps de réfléchir, tu as devant toi une vie de rêve, un destin extraordinaire, fabuleux, tu vas rencontrer tous les personnages importants de notre immense pays. Il ne faut jamais prendre une décision sur le coup de la colère, si tu rentrais dès maintenant tu le regretterais toute ta vie, comment peux tu être sure qu'il t'a trahie ?
Le calme et l'assurance de sa dame de compagnie apaisent un peu son inquiétude et son angoisse.
Une fois l'orage passé, sur la pointe des pieds, le rajah vint rejoindre sa promise.
- Nous nous marierons en décembre, les astrologues indiqueront la date exacte, il faut que ce soit un jour propice.
La découverte de son nouveau pays sera ponctuée d'épisodes inoubliables, comme celui ci.

Tout à coup un cri strident retentit, un cri de femme que l'on agresse, Marie se précipite à l'endroit d'où viennent ces éclats de voix, elle y trouve Gita, sa femme de chambre, complètement prostrée, elle lui montre un oiseau mort sous la fenêtre. Entré par mégarde dans la chambre il s'est fracassé le crâne après un carreau en voulant sortir par une fenêtre fermée.
- tu exagères, tu m'as fait peur.
- C'est horrible !
- Ce n'est pas si grave, mets le à la poubelle.
- Madame je ne peux pas toucher un animal mort.
Marie s'adresse alors au balayeur, la plus basse caste des domestiques.
- Désolé madame, je n'ai pas le droit de toucher un animal mort.
Même le préposé aux latrines n'a pas le droit de toucher à un animal mort.
Elle s'adresse alors à son majordome.
- Allez me chercher une personne habilitée à toucher un oiseau mort.
- Madame il faut aller en ville chercher un intouchable.
- Eh bien allez y.
- Madame je suis désolé, je n'ai pas le droit de m'adresser directement à un intouchable, ils sont trop impurs.
C'était à devenir fou, tout une après midi de palabres avant de voir arriver un hindou de la caste des croque-morts, un homme maigre comme un clou, habillé de guenilles, qui prend l'animal, le met dans son sac, et va se charger de la crémation.

Aujourd'hui mardi 3 décembre 1932 c'est le grand jour. Après un long bain, les ayas vont la coiffer, la maquiller, l'habiller. Après les sous vêtements brodés d'or et boutonnés de perles, elles l'enveloppent dans un tissu de soie blanche puis dans celui magnifique du sari. Sa peau si blanche, sa chevelure blonde et bouclée font ressortir les couleurs vives et chatoyantes du sari. Les bracelets et colliers de perles en paraissent presque superflus. Les ayas sourient, fières et convaincues d'avoir préparé la plus belle princesse de l'Inde. Elles lui prennent la main pour la conduire devant la glace.
- Quand je me suis vu, je n'en croyais pas mes yeux, et le sari est si agréable à porter.
C'est l'heure de sortir, les ayas lui couvrent le visage avec le voile très fin du sari.
Le rajah l'attend en bas des escaliers, dans une calèche tirée par quatre chevaux.
- C'était la première fois que je le voyais en costume sikh et armé.
Dans sa tunique brodée d'or et d'argent, son pantalon jodhpur, son turban de couleur saumon, celle réservé à la famille royale, il avait fière allure.
Pour l'empêcher de voir sa fiancée, on lui a posé, suivant un rituel hérité de l'islam, un petit rideau de franges. Deux sikhs âgés, aux longues barbes blanches, coiffés d'un turban mauve, accompagnent le couple, les font asseoir devant le Sahib qui est le livre sacré des sikhs. Les prières terminées, le rite religieux le plus important commence. Les époux tournent quatre fois autour du livre sacré, puis le vieillard les invite à se connaître, chacun retire le voile de l'autre, la musique recommence de plus belle tandis que les invités applaudissent. Puis les époux s'approchent à nouveau du livre sacré, Marie l'ouvre trois fois de suite, et lui une quatrième. La première lettre de chaque page va former le nouveau nom de l'épouse, que l'on fait suivre de Kaur. Le dernier rite est d'origine hindoue. Le marié s'assied sur un plateau de balance, un sikh pose des lingots d'or sur l'autre plateau jusqu'au moment où l'équilibre s'établit, idem pour la mariée, cet or servira à acheter de la nourriture pour les pauvres qui participent ainsi au bonheur de leur souverain. Puis perché chacun sur un éléphant fastueusement caparaçonné, les époux font leur entrée en ville pour saluer leurs sujets. Tout le monde est dans la rue, et, à leur passage, joignent les mains devant leur poitrine et s'inclinent pour les saluer. Puis c'est la réception sur la pelouse du palais. Des centaines d'invités goûtent aux plats les plus exquis de la gastronomie du Pendjab et de la France. De nombreux bars proposent toute la gamme des vins du val de Loire, et du champagne et dans un autre registre le thé indien. La fête bat son plein, au son de l'orchestre, les garçons dansent entre eux et les filles aussi.
- C'est le plus délicieux thé que j'ai jamais bu.
Puis le rajah présente à sa femme une vieille dame, sa mère, puis trois autres femmes plus jeunes et très belles. Toute les trois dévisagent Marie sans le moindre sourire.
- Ainsi, le jour de mon mariage, je fais la connaissance des trois autres épouses de mon mari et je comprends tout de suite qu'elles ne seront pas mes copines.
Depuis qu'elle est arrivée ici la jeune française n'a pas eu le temps de s'ennuyer, elle doit apprendre l'Hindi et le Penjâbi pour ce faire comprendre des domestiques, mais l'épisode de ce pauvre oiseau lui a montré qu'il faut aussi apprendre à se repérer dans ces milliers de castes et sous castes. Les Indiens vivent dans un monde clos, protégés et enfermés dans leur groupe, soumis à des règles qui s'imposent à eux. Pour assurer la paix et l'harmonie avec les domestiques, il faut veiller à ne jamais leur demander de faire une tache qui ne soit pas de leur caste, ni en dessous, ni au dessus, ou contraire à sa religion, c'est un règle d'or à respecter impérativement.
Elle apprendra aussi qu'il ne faut jamais complimenter un cuisinier pour un bon plat car ici les plats doivent toujours être réussis, le fait de le souligner signifiant que les autres ne l'étaient pas.
- Je sens un certain malaise, un certain vide se faire autour de moi, dit elle à Lola.
- L'hostilité des épouses est compréhensible et va aller en diminuant.
- Il manquait plusieurs rajahs au mariage ainsi que le gouverneur britannique.
- Le gouverneur s'était fait représenter.
- Par quelqu'un d'une caste bien inférieure !!!
- Ton mari fera ce qu'il faut pour que tu puisses jouer ton rôle de maharani.
- Où vivent les autres épouses de mon mari ?
- À la zénana. C'est l'endroit du palais réservé aux femmes et aux enfants.
La sérénité de Lola devient contagieuse. Un climat de confiance et de sympathie régne désormais entre Marie et sa dame de compagnie, et une certaine admiration réciproque. Pour Lola qui avait tout largué pour son amour de jeunesse, pour Marie qui s'est lancée dans ce conte de fée.
- Comment va KAUR ? dit le rajah.
- Bien, mais elle ne sait pas ce que signifie KAUR.
- C'est un titre censé traditionnellement signifier princesse, et qui, en réalité, veut dire lionne. Tu es les deux à la fois, mon amour.
- Je croyais que je suis maharani.
- Tu es la maharani du Patiala, rani veut dire reine, rajah roi, et le préfixe maha grand.
- Il y avait beaucoup de monde à notre mariage, mais aussi des absents, des rajahs, le gouverneur britannique.
- Il y a des incompréhensions entre les anglais et nous, il y a chez eux un esprit dominateur.
- Tu es pour l'indépendance ?
- Je n'irais pas jusque la, mais certain le pensent. Moi je crois que l'on pourrait s'entendre au bénéfice des deux peuples et pourtant j'ai l'impression que l'Inde est plus pauvre maintenant qu'avant qu'ils arrivent.
- Et les rajahs absents ?
- La grande majorité d'entre eux sont venus, les absents sont contre les mariages mixtes.
- Tu es sikh et pourtant il y a eu à notre mariage des rites d'origine hindou et musulman.
- Oui, au Pendjab les musulmans sont très nombreux et la principale religion est le sikhisme, mais nous faisons partie de l'inde où la principale religion est l'indouisme, et il y a aussi des bouddhistes, des Jains, des chrétiens. Chez nous la religion est très importante et la gouvernance des peuples requiert un très subtil dosage au sujet des religions. C'est ce qui fait notre force à nous les rajahs par rapport aux anglais.

- Qui est Gandhi ? demanda t'elle à Lola.
- C'est le chef du parti du congrès, un religieux hindou partisan de l'indépendance, contre le système des castes tel qu'il s'applique. Il est le théoricien de la résistance à la tyrannie par la désobéissance civile de masse, fondée sur la non violence.
- La tyrannie des anglais ou des rajahs ?
- Les deux. Mais tous les rajahs ne sont pas des tyrans.
- Tu es pour l'indépendance ?
- Oui, je crois que c'est inéluctable et logique.
- Et que deviendront tous ces rajahs.
- Ils peuvent jouer un grand rôle s'ils s'adaptent, nombre d'entre eux sont très populaire. En Europe il y a de nombreuses royautés dans des pays démocratiques.
- Exact, mais ça m'inquiète un peu pour mon avenir ici.
- Il faut vivre le présent, demain est un autre jour.
- Depuis quand les anglais...?
- C'est au dix-septième siècle qu'ils établissent la compagnie anglaise des indes et ils prennent les pleins pouvoirs en 1858. Avant eux c'était les Moghols, dynastie musulmane d'origine turque qui régnât de 1526 à 1857.
- C'était la même époque que l'empire ottoman à son apogée, lui aussi d'origine turque.
- Oui, cette époque fut pour l'inde celle d'une brillante civilisation, on doit aux Moghols un style d'architecture qui atteignit son apogée sous le règne d'Akbar et Chab Djahan avec le Taj Mahal.
- Et le rajah que pense t'il vraiment des anglais ?
- Il entretient avec eux une relation ambiguë, faite d'amour et de haine, il les admire et en est dégoûté à la fois. la mentalité des britanniques a changé petit à petit, un sentiment de supériorité se fait jour chez eux, ils deviennent arrogants, limite raciste. J'ai senti cette évolution lorsque je vivais à Londres.
- Ils n'ont pas apprécié mon mariage.
- les anglais sont contre ces mariages mixtes, surtout anglo-indien, ils craignent que ces brassages ethniques mettent en cause leur empire.
Depuis quelques temps Marie est un peu fatiguée, elle a des nausées, des vertiges, si vous voyez ce que je veux dire. Pour être sure elle fait venir le médecin, son diagnostic est formel.
- Chéri je suis enceinte !
En ce mois de janvier 1933 Marie est aux anges, finie la nostalgie du premier noël loin des siens.
- Demain j'ai dix neuf ans, et début août je suis maman...wouaouh !!!
Si les autres épouses du rajah lui mènent un guerre sans merci du fait de son statut privilégié, si sa belle-mère la fuit à cause de son origine modeste, sans caste dit elle, ses enfants ont tout de suite sympathisé avec leur nouvelle belle-mère. Les trois plus âgés parlent français, ils connaissent Paris, les plages vendéennes, Chamonix, les châteaux de Versailles, Chambord, Chenonceau, Cheverny...
- Tes enfants me considèrent un peu comme leur grande soeur.
- Ils t'aiment tous.
Ce qu'elle ne sait pas c'est qu'une lutte sourde a commencé à l'intérieur de la zénana.
- En refusant de vivre à la zénana suivant la tradition indienne elle nous méprise...
- En lui accordant un statut privilégié il nous a toute déclassé...
- Il nous a laissé tomber pour cette danseuse nue...
Ces arguments ne sont pas sans effets, par exemple l'aîné des fils acquiesce lorsque sa mère lui dit :
- Je ne suis plus la première maharani, je ne suis plus rien.
Lors des gardeen party au palais il y a deux clans c'est clair.
Lors des cérémonies officielles il y a toujours plusieurs absents de marque et les anglais font pression sur lui pour que soit respectée la hiérarchie traditionnelle entre ses épouses.
- Cette demoiselle n'a rien à faire ici lui dit on !
Le rajah doit lutter pied à pied pour imposer Marie, mais les humiliations que lui font subir les anglais sont de plus en plus nombreuses et pénibles. Certain rajah font de même, soit par conviction, soit pour se faire bien voir des britanniques. Toujours aussi amoureux il tient bon.

Marie travaille d'arrache pied car elle veut maîtriser le plus vite possible l'Hindi et le Penjâbi, condition nécessaire mais hélas pas suffisante pour s'intégrer.
- Je me sens isolée, j'aimerais sortir du palais, me promener à cheval avec Lola.
- Ma chérie je ne suis pas contre, mais tu es enceinte, fais attention.
Ainsi va la vie, nous voici à Pâques puis c'est le jolie mois de mai. Le ventre de Marie s'arrondie au fur et à mesure que la chaleur devient de plus en plus pénible pour atteindre son paroxysme en juillet août au moment de la mousson.
Comme prévu, en août un superbe bébé voit le jour, un fille que sa mère va allaiter ce qui va prolonger encore un peu son confinement au palais.
Marie fait connaissance avec Bibi, sa nourrice que son mari et Lola ont choisi. Bibi vient de l'état voisin du Kapurthala elle est la mère de trois filles ce qui dans une famille indou modeste pose de gros problèmes. Bibi et son mari ne savent pas comment ils vont faire pour la dot. Une fois mariée, les filles vont vivre dans la famille de leur mari. Si la dot prévue n'est pas intégralement payée elles peuvent avoir de gros problèmes.
Marie va tout de suite très bien s'entendre avec Bibi à cause de sa gentillesse bien sur, mais surtout ses compétences, elle a entière confiance.
A présent les journées ont bien raccourci, la chaleur est redevenue supportable, en cette belle journée d'automne indien Marie et Lola se promènent à cheval.
- Tu te souviens il y a...
- Un an nous étions sur le bateau.
- Un an déjà.
- Arrête tu parles comme une vieille !!! Je rigole...Tu sais ce que j'ai fait hier dit Lola ?
- Non.
- J'ai adhéré au congrès.
- Au parti du congrès ?
- Oui au parti de Gandhi, je veux militer pour les idées de cet homme que j'admire.
- Le rajah est au courant ?
- Je le lui dit dès que je le vois, il ne sera pas surpris.
- Tu as raison, à ta place j'adhérerais moi aussi. Explique moi le congrès, et y a-t-il d'autre parti politique ?
- Il a pour but l'indépendance et regroupe tous ceux qui y sont favorables, nationalistes, syndicalistes, étudiants, religieux, athées.
- Tout cela va éclater après l'indépendance.
- Pour le moment nous sommes tous derrière Gandhi et son idée de désobéissance civile de masse, non violente.
- Parle moi de Gandhi, qui est il ?
- Mohandas Gandhi était un écolier de six ans quand la grand-mère de Georges V avait été proclamée Impératrice des Indes en 1876. Selon l'usage indien de l'époque il fut marié à l'age de treize ans à une fillette analphabète. Celui qui allait plus tard offrir au monde un symbole de pureté ascétique découvrit très jeune les plaisirs de la chair. Il était de la caste des Vaiçyas, celle des commerçants, une position relativement inférieure très en dessous des Brahmanes. Il partit en Angleterre pour étudier le droit et devint avocat.
Le premier grand tournant de sa vie se produisit en Afrique du Sud en 1893. C'est la qu'il découvrit le racisme, se faisant expulser par un blanc de sa place dans le train. Alors qu'il était devenu un avocat prospère, il décida à partir de 1904 de changer de vie. Le renoncement aux possessions matérielles, l'effort pour satisfaire de la manière la plus simple les besoins de l'homme allaient guider sa vie jusqu'à la mort. Et c'est un soir d'été 1907, qu'il annonça solennellement à sa femme qu'il avait fait le voeu de brahmacharya, c'est à dire le serment de continence, cela à l'age de trente-sept ans. Pour lui chez un authentique soldat de la non-violence, la continence était la première victoire à remporter. Par ce serment il embrassait une voie presque aussi ancienne que l'hindouisme qui considère qu'un homme ne peut atteindre l'éveil de l'intelligence suprême, la compréhension globale, la délivrance, qu'en sublimant la force sexuelle, en déviant toute son énergie vers le haut en la transmuant en énergie spirituelle.
C'est en luttant pour ses frères d'Afrique du Sud qu'il élabora les deux doctrines auxquelles j'adhère, la non violence et la désobéissance civile de masse.
Il rentrât en Inde en 1914 à l'age de quarante-quatre ans.
Il resta loyal à l'Angleterre pendant la première guerre mondiale.
Il prit en main le congrès dès le début des années vingt. Son programme tenait en une formule, la non coopération, les Indiens devaient boycotter tout ce qui était Anglais. A cette croisade vint s'ajouter une campagne d'éducation populaire dans le domaine sanitaire et pour prôner l'entente entre Hindous et Musulmans. Il donnait l'exemple d'une vie simple en parcourant le pays pour répandre son message. Celui que l'on commença à appeler le Mahatma, la grande âme, et Bapu, le père, le guide, obtint un grand succès et décida d'intensifier son action en passant à la désobéissance civile. Mais la répression frappa, ses partisans puis lui même furent jetés en prison.
Dans les années trente, une trêve fut conclu débouchant sur le Govemment of India Act qui accordait une certaine autonomie.
- Et Nehru ?
- Né d'une famille brahmane du Cachemire il fit lui aussi des études d'avocat en Angleterre. Il rêve de concilier la démocratie et le socialisme économique de Karl Marx. Il est athée ou agnostique, je ne sais pas très bien.
C'est un homme cultivé maniant l'éloquence et la plume avec un égal bonheur. Son regard d'une douceur angélique cache quelque chose d'un félin. Gandhi est son guru et pourtant beaucoup de choses les séparent, à commencer par la religion. Il voue un culte à la littérature, la science, la technique, alors que Gandhi rend ces sorcières responsables de tous les malheurs de l'humanité.
Il est secrétaire général, il n'a pas le même prestige, il a vingt ans de moins.

Les deux femmes sont devenues inséparables et Marie ayant entièrement confiance en Bibi la nourrice, il y aura beaucoup d'autre promenades comme celle ci, la jeune princesse voulait se rendre compte de la vie du peuple indien. Les scènes de la vie ordinaire défilèrent sous ses yeux.

Celle ci par exemple:
Sur le bord de la rivière, des hommes et des femmes nus, accroupis, s'aspergent avec des cruches d'eau, se frottent des pieds à la tête, avec une grande décence, sans rien montrer de leur nudité, selon le rituel matinal du bain. Un peu plus loin, trois femmes trempent du linge et le tordent vaillamment tout en jacassant bruyamment.
Et puis celle là:
Elles s'approchent d'une ferme, trois enfants nus accourent vers elles, riant et les regardant avec curiosité, surtout Marie. Visiblement bien nourris et heureux de vivre, ils étaient sales des pieds à la tête. Une femme sortit à son tour, vêtue d'une robe multicolore. Devant la maison se trouvait une mare, assez vaste. Des porcs noirs, bas sur pattes, fouillaient de leur groin la boue sombre de ses bords, et l'avalaient avec les vers et les larves qu'ils y trouvaient. Les enfants allèrent s'y baigner.
Et puis encore celle ci en ville:
Marcellin, un jeune français en vadrouille dans les parages, s'approcha d'un des véhicules, et demanda à haute voix, en désignant le car le moins déglingué, la galerie couverte d'une montagne de bagages : Delhi ? Tous les voyageurs lui firent de grands sourires et le signe NON de la tête. Il obtint le même résultat avec l'autre véhicule. Serait-il monté dans l'un ou l'autre de ces cars déjà bien trop plein? Ce qu'il ignorait, c'est que le signe de tête qu'ils lui avaient fait avec un bel ensemble, et qui pour lui signifiait NON, pour eux voulait dire OUI. Aucun des deux cars, cependant, n'allait à Delhi. Mais personne parmi ces gens aimables, n'avait voulu faire de peine à un étranger en lui répondant NON !
A la périphérie des villes, des cabanes faites de bouts de tôle, de planches, de bâches, s'alignaient au bord des routes poussiéreuses. Des individus de tout ages, et beaucoup d'enfants, allaient et venaient sans but, certains portaient un fagot de bois mort ou une cruche d'eau.
En centre ville les carrioles tirées par des ânes et des êtres humains, les gens juchés sur des chevaux, des ânes et même des éléphants, les cyclistes, les piétons vont et viennent dans tous les sens, et voient leur territoire contesté par quelques véhicules à moteur qui s'imposent sans vergogne.
La foule grouille tandis que des chèvres déambulent au milieu des étals des marchands de fruits et légumes, le plus souvent posés par terre et tente d'y chiper un peu de nourriture. Des chiens sont couchés au milieu de la rue, des cochons cherchent à manger dans les tas d'ordure, des vaches regardent passer les gens.
- Nous aimerions bien les manger, dit un vieux monsieur, mais pour les hindous la vie d'une vache vaut plus que celle d'un homme !
- De ce coté ci du monde, dit Marie, philosophe, mourir, vivre, il ne semble pas que cela soit si important. L'important est d'espérer et croire.

De retour au palais, Marie trouva Bibi en pleurs.
- Que se passe-t-il ?
- Mon mari est mort, un accident au travail.
Plus d'une semaine après avoir rejoint sa famille en cette douloureuse circonstance, Bibi n'était pas réapparue et n'avait donné aucune nouvelle.
- Ce n'est pas dans ses habitudes dit Marie.
- Tu as raison, il lui est arrivé quelque chose, il faut qu'on aille voir.
Les deux femmes trouvent la belle mère de Bibi en pleurs.
- Mon fils est mort.
- Et Bibi où est elle demanda Marie.
Mais Lola avait déjà compris en voyant le mur de la cuisine noircie par la fumée.
- À l'hôpital.
Elles y trouvèrent Bibi méconnaissable, la tête, le visage, les bras, une grande partie du corps sont bandés.
- Elle a été gravement brûlée dit l'infirmière, mais son état s'améliore, elle va s'en sortir.
- Que s'est il passé demanda Marie ?
- Je t'explique dit Lola : La vie d'une femme peut très vite basculer au décès de son mari. Il s'agit du sati.
- Le sati !
- C'est une coutume ancestrale de l'hindouisme qui veut que les veuves s'immolent sur le bûcher funéraire de leur mari, pour continuer à vivre avec lui pendant l'éternité. Cela a été interdit par les anglais et pourtant... Certaine femmes sont volontaires pour commettre le sati, elles sont alors vénérées comme des saintes, mais dans certaine famille, on les oblige à le faire.
- Pourquoi ?
- Pour garder les biens de la veuve, si elle en a, dans la famille du mari. Dans le cas d'une veuve ne voulant pas obéir, il arrive que soit provoqué un incendie domestique que l'on fait passer pour un accident.
- Mais c'est des crimes, t'es sûre de ce que tu affirmes.
- D'après les médecins hospitaliers, il y a vingt fois plus d'incendie accidentel domestique chez les veuves hindoues que chez les musulmanes, mais c'est des crimes très difficiles à prouver.
Les deux femmes allèrent voir Bibi presque tous les jours jusqu'à son retour au palais.
- En fait Bibi était malheureuse dans son couple, c'est pourquoi elle aime tant son emploi ici, dit Lola.
- Tu sais pourquoi.
- Il s'avère que ses parents n'ont jamais pu payer l'intégralité de la dot et elle est tombée dans une famille plus intéressé par la dot que par la belle fille.
- Il faut qu'elle porte plainte, je vais en parler à mon mari.

- Ma chérie, nous vivons dans un petit Etat où il y a trois communautés, chacune d'elle a ses propres lois, ses coutumes, nous les Sikhs sommes minoritaires, les Hindous et les Musulmans étant les plus nombreux. Il faut éviter les conflits, sinon c'est le chaos. Faire régner l'harmonie est plus important que rendre la justice dans un cas aussi confus où il n'y a pas de preuve.
- C'est une tentative d'assassinat.
- Il ne faut jamais se mêler des affaires internes d'une communauté car on risque de rompre un fragile équilibre, Bibi a eu la vie sauve, elle est débarrassée de son mari et va reprendre son emploi ici.
- Et ses filles ?
- Je veillerai personnellement à ce que tout se passe bien. C'est Lola qui t'as parlé de faire un procès ?
- Non c'est moi, cette histoire me révolte.
- Lola a été contaminée par l'occident, cette idée d'indépendance du congrès risque de déboucher sur un conflit avec les anglais et de nous faire avoir des ennuis.

Et la vie ordinaire reprit son cours.
Les deux femmes trouvèrent par hasard un Kama sutra qu'elles étudièrent discrètement dans tous ses détails. En fait il s'agit d'une édition populaire, très peu illustrée. Comment dès lors imaginer l'approche du tigre, l'herboriste, le vol des mouettes, le lotus renversé, etc etc. Ah ! voici le devoir d'un dévot, on y voit l'homme aimer sa femme comme un taureau monte une vache, debout derrière elle. Une autre représente une princesse................ Cette façon d'aimer à laquelle le couple s'adonne est la plus magique, grâce à elle le rajah ensemence la terre à travers la femme. Au cours de ce rite amoureux appelé l'Auparishtaka de la maharani, la femme doit toucher en même temps la terre. Car le Kama soutra n'est suivi que par la noblesse riche, les masses populaires se contentent de copulations normales....Cependant, savez vous qu'ici, un des endroits les plus érotique de la femme, c'est les chevilles, savez vous que les amoureux ne s'embrassent pas sur la bouche, les organisations religieuses considèrent cela comme un signe décadent de l'occident avilissant la femme !

Mine de rien, ces petites histoires nous emmènent en l'an 1937, la petite va avoir quatre ans, elle parle Hindi et français et s'apprête à faire connaissance avec la famille de sa maman.
À la gare de Saumur, le papy attend sa fille et sa petite famille au volent de sa voiture, une Citroën Traction toute neuve.
Bon, je vous laisse imaginer la joie et l'émotion de cette famille.
Et pendant ce temps sur le vieux continent....
En France le front populaire n'est plus ce qu'il était et va bientôt rendre l'âme. En Italie le duce, et au Portugal Salazar managent leurs peuples d'une main ferme. En Espagne le caudillo va bientôt faire un sort aux républicains. En URSS le petit père des peuples construit le socialisme. En Allemagne le führer s'apprête à mettre le monde à feu et à sang.
Et pourtant la vie continue.
Marie et son prince sont venus assister en Touraine, à l'un des coups de théâtre politiques et mondains parmi les plus marquants du XX ème siècle. Le château de Candé, situé entre Tours et Azay le Rideau accueillait, ce trois juin 1937, un événement qui souleva les foules et entra dans la légende, le mariage du duc de Windsor et de l'Américaine Wallis Simpson. Ces noces résonnèrent dans l'opinion comme une victoire de l'amour sur le rigorisme des conventions. En effet, pour pouvoir épouser l'élue de son coeur, roturière et deux fois divorcée, celui qui était alors sa Majesté Edward VIII d'Angleterre dut abdiquer.
Il fut roi du vingt janvier au onze décembre 1936 et fit scandale en regardant la proclamation de sa propre accession au trône, par une fenêtre, en compagnie de madame Simpson, toujours mariée à cette date.
Quant au maharaja du Patiala, il avait eu l'insigne privilège d'escorter à cheval, en qualité d'aide de camp honoraire, le carrosse royal de Georges VI pendant les fêtes de son couronnement en décembre 1936.

Chapitre deux
La liberté et après

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