Patrimoine insolite, voyages de Daniel Ginibriere, rêve, évasion, légendes, aventure, évenements de mai juin 68.

~ 68 ANNEE DE BRAISE ~

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le Loudunois
-retour à l'accueil- Les
Alpes
Richelieu - Le
Havre - Freiburg
L'Île de
la Réunion
La vicomté de Turenne Brive et la vallée de Planchetorte
Le Maroc L'Algérie du nord au sud, de l'est à l'ouest Princesse
Aurélie
La Libye La Jordanie L'Egypte Marché de la
gare du Caire
L "Iran Le Québec, l'Acadie,
la Gaspésie, les Rocheuses
Les Etats-Unis
d'Amérique,,
Le
Liban
La
Syrie
L'Ouzbékistan Le
Tadjikistan
Palestine, Cisjordanie Israël Israël
Palestine
Jérusalem Chemins de Palestine La Mauritanie
Le Sri-Lanka La Thaïlande Le Vietnam Le Cambodge L' Inde, du nord
au sud
Un miroir
Indien
Le Népal Des routes de légende Oman La Turquie, la Cappadoce, Istanbul
Le Spitzberg L'Islande en hiver et en été La Suède, la piste royale, Stockholm La Norvege-Les îles Lofoten en hiver et en été La Grèce et la
République monastique
du Mont Athos.
La LOIRE
à vélo
Berlin Potsdam Fribourg la Forêt Noire Londres Le Groenland L'Italie

Les événements de mai-juin 68 font assurément partie de notre patrimoine insolite.
Vus par le petit bout de ma lorgnette voici

68 année de braise.

Chacun suit sa route, qui n'est pareille à aucune autre,
nos itinéraires, souvent se croisent, et quelques fois se rencontrent,
personne ne voit exactement la même chose,
mais, comme dit le poète chanteur,
les braves gens n'aiment pas que, l'on suive une autre route qu'eux.

Chapitre un
Le séisme.

Le suc, ça vient quand on est imprudent, excessif, extravagant, entier, absolu...

En ce mardi sept mai 1968, Jean Louis attend le train qui va le ramener dans son sud ouest natal. Pendant seize mois, au premier régiment du génie, sis dans la très belle ville de Strasbourg, il a appris et s'est exercé à défendre son pays, la France. Avec ses camarades de régiment il avait, une canette de bière à la main, plusieurs fois entonné ce refrain : dans un taxi on verra s'envoler...Et aujourd'hui c'est le jour attendu, la quille. Arrivé gare de l'est, en milieu de journée, ce fut le métro, direction Place d'Italie, arrêt gare d'Austerlitz. Et la il entend vaguement, venant du boulevard de l'hôpital, des slogans inaudibles car couverts par les bruits de la ville. Curieux de nature, il alla voir.
Et la que vis je ?
Des filles et des garçons aux cheveux longs, bien plus longs que moi, occupaient le domaine public normalement réservé à la circulation automobile. Dans un certain désordre, ils allaient et couraient dans tous les azimuts, portant parfois des banderoles ou pancartes faites de bric et de broc, et leurs slogans n'étaient guère plus intelligibles. L'improvisation de la manif lui donnait une allure sympa, mais rien de bien sérieux et durable. Et pourtant c'était la première manif des évènements de mai et juin soixante-huit. Débarrassé du poids des règles et de l'uniforme, je me mêlai un instant à ce gigantesque bateau ivre, à cette foule jeune et bigarrée, qui s'aventurait joyeusement sur le grand terrain de ce jeu sans boussoles, sans arbitres et sans lois. Ils passaient à coté de moi sans me voir. Une vieille dame avait choisi ce moment et cet endroit pour faire prendre l'air à son chien, qui, voyant ce charivari, fit savoir son agacement en aboyant en direction des jeunes gens, un garçon voulu le faire taire, se prit les pieds dans la laisse, fit chuter la bonne femme, envoya valdinguer au loin le clébard aboyant de plus belle. Les commerçants, qui étaient tous sortis devant leur porte et qui regardaient avec perplexité la déambulation, allèrent aider la vieille femme à se relever, mais eurent beaucoup plus de mal pour récupérer le toutou. Mais, comme vous le savez, les trains partent à l'heure, et ce sera tout pour cette fois.

En ce temps là, comme disait ma grand mère, et d'ailleurs, on pourrait presque dire, il était une fois, on trouvait du travail facilement, pour peut que l'on soit courageux car on était loin des trente cinq heures. Avec 300 000 chômeurs nous étions à 6% de croissance l'an. Un certain général nous parlait de la grandeur de la France, tandis que partout en province les usines poussaient quasiment comme les cèpes dans les bois de la haute Corrèze à la fin de l'été. Et d'ou venaient elles ces usines ? De la région parisienne où les salaires étaient plus élevés qu'en province. Le scénario était toujours le même, on prospectait les collectivités locales qui se livraient une concurrence sans pitié pour offrir des terrains plus ou moins bon marché, dans des zones industrielles plus ou moins bien équipés, la proximité d'une autoroute existante ou en projet, d'une ligne de chemin de fer, étant un atout important. Le personnel d'encadrement et les ouvriers les plus qualifiés se voyaient offrir la possibilité de continuer leur emploi et de profiter de la douceur de vivre en province. Et les entreprises réalisaient de substantielles économies de salaire, les provinciaux étaient moins gourmands car ils avaient moins de charges de logement, et surtout ils ne demandaient qu'à vivre et travailler au pays. Et tout le monde ou presque était content.
Ce que l'on ne savait pas, c'est que, pour les mêmes raisons, réduire les coûts salariaux, le même phénomène de délocalisation allait bientôt se produire au niveau mondial, et là, c'est une autre histoire. Un sujet qui ne sera jamais à l'ordre du jour des évènements. Mais le pouvait il ?
Justement revenons y à ces évènements de mai juin soixante huit.
La jeunesse étudiante était en effervescence depuis de nombreux mois en de nombreux pays , Allemagne, Italie, Etats-Unis, Japon Mexique ainsi qu'en Pologne et Tchécoslovaquie où le printemps de Prague commença en février. Les manifs contre la guerre américaine au Vietnam se multipliaient.
En France la fac de Nanterre s'agite car les étudiants veulent pouvoir aller dans le dortoir des filles! L'étincelle qui fit déborder le vase fut l'incendie, le 2 mai, du bureau de la fédération générale des étudiants en lettres par le groupe d'extrême droite Occident. Le lendemain, sur le Boul. Mich., une bande d'étudiants secoue vaillamment un car de police.
- Vous êtes fous!!
leur dit un ancien jeune. La réponse fuse et donne le ton.
- Ta gueule vieux con, t'es plus dans le coup.
En quelques jours, la Sorbonne et les autres facs furent occupées ainsi que les lycées. Les A.G. succédaient aux A.G. et on n'en sortait que pour aller manifester dans la rue. Tout le monde parlait en même temps, tout le monde fumait sa clope, les canettes de bière et de coca traînaient un peu partout, on entrait et sortait comme dans un moulin, une multitude de motions était votés, et pourtant chacun n'en faisait qu'à sa tête. Un fourmillement d'idées sans précédent voyait le jour, tandis que le gouvernement, par le biais de l'ORTF contrôlait la télé et, dans une moindre mesure la radio. Bien que le recrutement avait commencé à s'élargir la population étudiante de l'époque n'était pas sociologiquement représentative de la jeunesse. Et les interdictions, et obligations étaient nombreuses dans l'éducation des jeunes qui n'étaient majeurs qu'à l'âge de 21 ans. On commence seulement à avoir des établissements scolaires mixtes et les filles n'auront le droit d'y porter des pantalons qu'avec l'apparition de la mode des mini-jupes.
En réalité, ce mouvement, à ses débuts, ne fut pris au sérieux par personne.

POUVOIR ETUDIANT !

Oui c'était à eux, les étudiants, qui avaient eu la chance d'acquérir de la culture, d'être à l'avant garde du peuple à la conquête d'une vie débarrassée du joug capitaliste, et des illusions des républiques démocratiques, socialistes, populaires, en vigueur dans les pays de l'est et soutenues par le parti communiste et la G.G.T.
- On ne demande rien, on ne revendique rien, on prend, on occupe. Le travail qui est une contrainte est mauvais. L'argent est mauvais car il permet d'accumuler des richesses personnelles, suscite l'avidité, l'égoïsme, la jalousie. La société qui interdit et qui oblige est mauvaise. Le système hiérarchique est mauvais car il annihile la créativité et la spontanéité individuelle. La société de consommation est mauvaise car elle aliène l'individu. Toute autorité est mauvaise car elle empiète sur les libertés. Il faut quitter cette société, vivre en marge d'elle, quand nous serons assez nombreux à l'avoir larguer, elle s'écroulera d'elle même, la combattre est mauvais, car cela oblige à entrer dans son système.
- Tu me barbes, toi et tes copains, vous êtes des baratineurs. C'est quoi la société de consommation ? Tu en connais des sociétés qui ne consomment pas ?
- Oui, moi j'en connais.
- Tu parles les gens seraient bien content de consommer, s'ils ne le font pas, c'est parce qu'il n'y a rien à consommer, c'est parce qu'ils n'ont pas le moindre kopeck pour acheter quoi que ce soit.

Les étudiants avaient reçu le renfort de certains de leurs collègues étrangers, le plus célèbre, surnommé Dany le rouge, ayant aujourd'hui viré au vert, véritable figure de proue venu d'un pays de l'autre coté du Rhin leur expliquait que la situation est révolutionnaire, que le pouvoir est à prendre, car la bourgeoisie est perdue, désemparée, inerte, qu'il ne faut pas écouter le parti communiste, le parti socialiste, la C.G.T. et tous les autres car ils ont peur de faire la révolution, ils n'ont pas confiance en vous, car ce n'est pas eux qui dirigent votre mouvement.

AUTO GESTION ! REVOLUTION PERMANENTE ! OUI LE POUVOIR EST A PRENDRE !

Et puis les revendications fusaient vraiment dans tous les sens et sur tous les sujets. Par exemple :

A BAS LES SOUTIENS GORGES, NON AU ROUGE A LEVRES.

Et la pilule, elle était en vente aux Etats-Unis depuis le début des années 60 et autorisée en France depuis quelques mois, après un âpre débat où certains avait prédit un dissolution des moeurs, mais pas encore très diffusée.
- Il faut la mettre en vente dans les monoprix
suggéra un chanteur aux cheveux longs et à la chemise à fleurs.
Les clivages sociaux et moraux étaient rigides, les carcans nombreux, les jeunes les ressentaient comme dépassés. Pour les étudiants il s'agissait plus d'une révolte libertaire, une lutte pour l'émancipation, que d'une lutte sociale. Ils voulaient vivre sans entraves, avec imaginations, déchirer l'enveloppe qui tout à la fois les protégeaient et les enfermaient. Peut-être aussi avaient ils envie de marcher au bord du gouffre pour gouter à l'ivresse du vide.

IL EST INTERDIT D'INTERDIRE.
SOUS LES PAVES LA PLAGE.
ELECTIONS PIEGES A CONS.

- Votre pouvoir étudiant, ça ne veut rien dire, c'est de la merde, une histoire de petits cons, de gamins, Vous avez brûlé quelques bagnoles, cassé quelques vitrines de magasin et maintenant vous vous gargarisez avec des mots, mais c'est de l'enculage de mouches ! Vous occupez la Sorbonne au lieu de la démolir ! Dans vos manifs vous dites : C.R.S.- S.S. Mais vous n'en avez même pas tué un, CRS, ils sont toujours au complet, bien gras, au coin de la rue, en train d'attendre que vous soyez endormis par votre cinoche, pour vous foutre dehors! pouvoir étudiant, vous me faites rigoler, pouvoir de mes couilles oui ! Vous êtes des petits bourgeois, des petits cons.

Quant on sait que 80 % des CRS sont fils d'ouvriers et de paysans tandis que 5 % des étudiants sont issus de familles d'ouvriers....

Jour après jour les portes s'ouvrent, la parole se libère et devient cinglante, irrévérencieuse, sarcastique, la carapace d'interdictions, d'obligations et de peurs s'écaille, se disloque et finalement disparaît entièrement. Ils se sentaient libre. Ils pensaient que tout était possible. Ils y croyaient, Ils pensaient qu'on allait pouvoir passer tous ces bourgeois à la trappe, et construire une société juste avec des hommes et des femmes libres, vrais, où l'autoritarisme serait proscrit.

- Ce qui compte, c'est, à qui appartiennent les moyens de production et d'échanges, car c'est ça qui détermine la nature des rapports sociaux, et l'exploitation capitaliste !
- Arrête tes conneries, tu veux tout nationaliser comme en URSS et en Chine ! T'as vu Mao, avec sa révolution culturelle et ses gardes rouges, ce qu'il en fait des étudiants ? À l'usine ! À la chaîne ! Et les profs, dans les marécages ! À repiquer le riz ! Non ce qu'il faut c'est que les usines soient autogérées, les décisions sont prise en A.G. du personnel, les dirigeants sont élus et révocables à tout moments par l'A.G., à laquelle ils rendent compte.
- T'es complètement allumé, dit Nicole, ça marchera jamais ton truc.

OUBLIE CE QUE T'AS APPRIS, COMMENCE PAR RÊVER !
Quelqu'un avait remplacé le mot rêver par BRULER,
un autre avait barré brûler et écrit dessus : BAISER.

SOYEZ REALISTES DEMANDEZ L'IMPOSSIBLE.
LA BARRICADE FERME LA RUE ET OUVRE LA VOIE.
LES MURS ONT DES OREILLES VOS OREILLES ONT DES MURS.
Et celle ci ....
LA FORET PRECEDE LHOMME LE DESERT LE SUIT.

Le meeting le plus marquant, celui de Charléty le 27 mai, ne fit pas l'unanimité, les certitudes n'étaient pas les mêmes pour tous, c'est le moins que l'on puisse dire, volonté et ferveur étaient au menu tandis que les raisonnements utopiques masquaient la réalité.
Ne pas se laisser endoctriner par tous ces enragés, ces gauchos de maoïstes, trotskistes, anarchistes. Oui, trop de mots, trop d' intellos, trop de petits bourgeois. Ils faisaient des laïus contre la société de consommation, mais ils avaient toujours bien consommé depuis leur premier biberon. Oui la vérité était chez les ouvriers. Eux connaissaient vraiment l'injustice et l'exploitation capitaliste, ils ont l'expérience des luttes, ils sont liés avec les masses populaires parce qu'ils sont le peuple.
Il s'arrêta, songeur, devant cette affiche qui semblait trahir, avec humour et gentillesse, un commencement de lassitude, un soupçon de rancoeur en face des revendications matérielles des ouvriers en grèves :

PAS PLUS DE QUARANTE HEURES DE BARRICADES PAR SEMAINE.

En effet avec une dizaine de jours de décalage, le monde des usines et des fonctionnaires s'était lui aussi mis en grève. Mais la, c'était une autre histoire, point d'amateurisme ni d'improvisations, on avait à faire à des pros !, des années d'expérience ! Il y avait bien des A.G., mais avec un chef, qui donnait la parole à tous ceux qui la demandait, mais chacun son tour ! Il y avait bien des votes, mais au sujet d'une question parfaitement claire, et la décision prise à la majorité devait être appliquée par tous, quel que soit son vote !
Dare dare, les cahiers de revendications furent mis à jour, et apportés sur les bureaux des patrons.
Les maisons du peuple, et autres bourse du travail et maisons des syndicats, devinrent de vrais fourmilières, tous les jours des groupes de travailleurs arrivaient pour se syndiquer, ils demandaient à quoi ils avaient droit, comment faire pour créer leur syndicat, organiser des élections de délégués. la C.G.T. elle même se trouva en rupture de stock de cartes d'adhérents, et en était réduite à dresser des listes de candidats à l'adhésion.
Et pourtant, dans cette organisation parfaitement rodée, les idées nouvelles, même en les cherchant à la loupe, on en trouvait point. Le seul syndicat ayant fait un effort en ce sens, était la C.F.D.T., qui militait pour l'auto gestion, sorte d'usine à gaz ingérable n'ayant jamais vu le jour nulle part.
Rapidement, la paralysie devint totale, il n'y avait plus une goutte de carburant dans les réservoirs des voitures et des mobylettes, et pas le moindre train sur les rails. Même une entreprise dont le personnel aurait voulu travailler, ne l'aurait pas put, car elle n'aurait trouvée aucun client ni fournisseur. Certain rayon des épiceries avaient été vidé, par exemple, le sucre, la farine, les pâtes, le riz etc...
Des situations cocasses virent le jour.
Ainsi, Tati Danièle, une vieille fille qui prenait un malin plaisir à faire chier ses neveux et nièces, qui n'osaient rien dire, vu qu'elle avait plein de pognon, elle était morte, comme ça, tout d'un coup, depuis si longtemps qu'elle hésitait, on n'y croyait plus, oui, mais voila, les pompes funèbres étaient en grève, il n'y avait personne pour l'enterrer. Ce fut le maire communiste de son village, qui dut creuser sa tombe, une figure, ce vieux maire, ancien héros de la résistance, il fut, à l'occasion de cet acte de bravitude, traité de briseur de grève, et devinez par qui, par monsieur le curé ! Car ces deux là, ces deux braves hommes toujours prêts à donner leur chemise, ces deux bons vivants, ces deux artistes, ne loupaient jamais une occasion de faire un nouvel épisode de Pépone et Don Camillo. En fait, on avait bien rigolé à ces obsèques. Première surprise, l'église était pleine, aux fidèles, s'étaient joint de nombreux mécréants, venus se mettre au frais, en cette journée de canicule. Puis, après l'avoir mise en terre, dans le recueillement tout de même, on s'était rassemblé à la terrasse du bistrot du village, et on s'était raconté, en les enjolivant un peu, les meilleurs caprices de feu Tati Danièle.

Les contacts entre les grévistes salariés, et étudiants, furent rares et stériles. Un cortège se rendit à Billancourt, le 18 mai pour apporter aux ouvriers de Renault en grève, l'appui et l'amitié des étudiants. L'accueil des grévistes fut pour le moins mitigé. Ils ne laissèrent entrer personne à l'intérieur de l'usine occupée. Ils n'avaient pas besoin de ces jeunes prétentieux, pour mener leur lutte. Ces barricades du Quartier Latin, ce n'était pas leur problème.

Puis vint le temps de la négociation, à l'hôtel Matignon, sous l'égide du premier ministre. Des nouveaux droits importants pour les syndicats furent institués. Les salariés obtinrent des augmentations inespérées, par exemple le SMIC fut augmenté de trente cinq pour cent d'un coup, dans les entreprises les accords prévoyaient des augmentations au minimum de l'ordre de dix pour cent et bien plus pour les salaires les plus faibles.
Les usines rouvrirent les unes près les autres, il y avait de nouveau de l'essence dans les pompes et des trains sur les rails. Les étudiants durent admettre que le monde ouvrier, sans lequel aucune société nouvelle n'était possible, était un monde différend du leur, et qui ne les accepterait jamais en l'état. Ils n'étaient pas à un début, mais à une fin. Le futur ne sera pas construit par eux, pris collectivement, ils ne savaient même pas ce qu'ils ne voulaient pas, quant à savoir ce qu'ils voulaient...... Ils avaient voulu porter le fer très haut, les ouvriers avaient gagné au ras des pâquerettes, la bataille des fins de mois. Dans un monde matérialiste, c'était la seule manière de vivre, mais est-ce que cela pouvait constituer une raison de vivre ?

Le pouvoir politique que certains avaient cru inexistant, inerte, ne sachant que faire, reprit l'initiative, exploitant les profondes divisions du mouvement et la peur du parti communiste qui était le principal parti de gauche.
Le 30 mai, les gaullistes organisèrent une énorme manif sur les Champs-Elysées. Le vieux général, qui avait parlé de chienlit au sujet des évènements, et traité les français de veaux, proposa une idée nouvelle, la participation, que certains appelait l'association capital travail, et qui devait changer la nature des rapports ouvriers patrons. Il s'agit de donner aux salariés, une partie des bénéfices de l'entreprise. Cette loi existe toujours, et, dans une boîte qui fait de gros bénéfices comptables, cela peut représenter la valeur de deux mois de salaire net d'impôt et de charges, cela chaque année, mais dans la majorité des cas, dans les petites entreprises, c'est beaucoup moins.
Il avait aussi renvoyé tous les députés devant leurs électeurs, histoire de donner la parole à tous ceux qui étaient resté silencieux pendant tout ce grabuge, les personnes âgées bien sur, mais aussi les commerçants, agriculteurs, artisans, cadres et professions libérales. Tout ces gens la trouvaient que la récréation avait assez duré. Les ouvriers avaient obtenu des augmentations qu'ils n'auraient jamais osé espérer un mois auparavant, et maintenant il fallait penser à l'addition.

Ces gamins qui voulaient tout changer, qu'est ce qu'ils cherchaient ? Ils n'en savaient rien ! Mais les syndicats, eux, le savaient ! Ils n'avaient pas perdu le nord, ils n'avaient eu qu'à attendre, on avait bien été obligé de leur donner ce qu'ils voulaient, pour qu'ils reprennent le travail...Tout ça, c'était ces petits cons qui l'avaient déclenché. Et maintenant, la douloureuse, qui est-ce qui va la payer ? Ce n'est toujours pas eux !
Par exemple l'épicier de mon quartier, il avait fait comme tous les autres, par précaution, il avait déjà commencé à augmenter ses prix, juste un peu, sans que ça se remarque. C'est qu'il se levait à quatre du matin, pour aller aux Halles, faire ses achats, et il tirait le rideau de sa boutique à plus de huit heures le soir, et cela six jours par semaine. Le boulot, on le lui avait appris à coup de pied au cul, dès douze ans, après le certif. Personne ne lui avait demandé s'il voulait aller à la Sorbonne !
- C'est normal d'être utopique à ton âge, de rêver de révolution, il faut faire sa rougeole politique, mais si on se remue trop on risque d'en garder des traces pour la vie.
- Je te le jure, j'y ai cru, qu'on allait construire une société nouvelle, juste, libre, fraternelle, qu'on allait changer la vie.
- Et qu'est-ce que ça t'a rapporté tout ça, Tout le monde a fait son beurre sauf vous ! Les ouvriers, les fonctionnaires, ils ont décrochés la timbale, et vous, les étudiants, vous êtes les cocus! Vous vous êtes fait arnaquer, qui a négocié avec vous, qu'est ce que vous avez obtenu ? Et qui va payer l'addition maintenant, qui va casquer ? Qui va devoir cracher au bassinet du percepteur ?
L'évocation de la feuille d'impôts rendit le vieil épicier furibond. Véritable armoire à glace, Il leva son énorme pogne droite, comme pour lui mettre une torgnole.
- Si j'étais ton père !...
Rendu furax, le jeune étudiant chopa le vieil homme par le colbach, et lui mit un coup de boule. Puis il empoigna, sur le comptoir en zinc du café des sports, qui avait déjà vu tant de bagarres de bistrot, le cendrier remplie de mégots, et, du même élan, le lança en direction de l'épicier qui était en train de s'écrouler sur une table. Heureusement, il ne reçu qu'une pluie de mégots, tandis que le récipient alla terminer sa course sur le juke-box, qui, comme par miracle, se mit à entonner une chanson, mais pas n'importe laquelle, il s'agissait de l'une des plus belles chanson du camarade Jean Ferrat, qui de sa voix chaude, nous dit ceci :

Que c'est beau, c'est beau la vie,
tout ce qui tremble, et palpite,
tout ce qui lutte, et se bat,
tout ce que j'ai cru trop vite,
à jamais perdu pour moi,
etc etc...Vous connaissez la chanson !

Les élections eurent lieu dans la foulée des évènements, les dimanches vingt trois et trente juin, et les résultats furent conformes aux veux du général président qui disposait désormais d'une majorité bien plus large que celle du précédent scrutin. La gauche l'accusa d'avoir joué sur la peur, il répondait qu'il avait donné la parole au peuple souverain.



Un autre peuple aussi avait vécu un bouillonnement d'idées sans précédent pendant cette même période. En Tchécoslovaquie, un certain Alexander Dubcek, et quelques autres, que dis-je, tout un peuple avait cru pouvoir réformer le système communiste en place, le rendre démocratique, à visage humain disait on, et ils avaient même commencé à le faire ! C'était le printemps de Prague, un espoir, immense..., un rêve, qui allait virer au cauchemar, car le grand frère trouva lui aussi que la récréation avait assez durée, et, un certain vingt et un août envoya ses chars. Alexander fut invité à terminer sa carrière comme jardinier à Bratislava, ses principaux lieutenants emprisonnés. Le peuple comprit qu'il fallait à nouveau se taire et voter à 99,9 % pour les candidats du parti.
Ainsi, le poète chanteur, avait une fois de plus raison :

Dire qu'il y a des gens, qui ont tant et tant raison,
que quand vous n'êtes pas d'accord ,ils vous flanquent en prison...
etc, etc.

Chapitre deux
Les répliques.

si on meurt à cet âge, fatalement c'est un crime, c'est que quelqu'un vous a tué ou qu'on vous a laissé mourir.

Les évènements comme on dit sont terminés, plus de quatre vingt pour cent des lycéens qui se sont présentés au bac ont été reçus, ce qui pour l'époque était un résultat inespéré.
Sylvie ne s'est même pas donnée cette peine, écoeurée par la tournure des évènements elle s'était barrée en Inde à moins que ce soit à Katmandou, avec un de ses copains de barricades, Eric.
Entre deux A.G., deux manifs, il lui avait fait fumer quelques bouffées de marihuana, alors elle nageait dans le brouillard, un brouillard rose doux et tiède, elle s'y sentait bien, un peu comme lorsqu' on se détache du poids de l'existence avant de s'endormir. Ni l'un ni l'autre cependant n'étaient accroc, c'était juste comme ça, pour voir ce que c'était.
Pourtant elle était plutôt bien née Sylvie, en tout cas dans une famille d'intellectuels aisés, sa mère prof d'histoire géo, mais aussi responsable d'une section du parti socialiste unifié et syndicaliste acharnée, son père, ingénieur, avait créé dans les années cinquante, une entreprise industrielle fort profitable et dont il était le patron omniprésent. Des parents très occupés donc, qui s'apercevront un peu tard que bien élever ses enfants ça prend du temps.

Malgré la traque policière, la France des années soixante est une des plaques tournantes du trafic de drogue dans le monde, venue d'Extrême-Orient via le Liban et la Turquie, l'opium est souvent transformé en héroïne chez nous, puis réexpédié en Amérique du Nord, et dans tout les autres lieus de consommation.
Ici à Katmandou, le hachisch est en vente libre comme le tabac ou la salade en Europe et pas plus cher qu'un paquet de clopes à Paris ou à Londres, l'héroïne est pratiquement dans le même cas.

À la recherche de leurs rêves perdus, nos deux compères étaient donc venus jouer les prolongations ici, au pied de l'Himalaya, un des fiefs des hippies. Ils avaient assez de dollars pour les clopes et acheter à manger, pour combien de temps ? Peu importe le temps ne comptait plus, pour coucher, on verrait bien, il y a toujours de la place sous les étoiles.
C'était un merveilleux voyage, ils étaient libres, tous les yeux qu'il avait vus depuis leur arrivée ici étaient ouverts. Ils se rendirent compte que jusque la ils n'avaient jamais vu que des yeux fermés, tous les yeux, ceux de leurs copains, les leurs, les yeux brillants et excités des barricades, tous ces yeux aux paupières ouvertes étaient des yeux fermés. Ils ne voulaient rien voir, rien recevoir et rien donner, ils voulaient imposer leurs vues.
Ici de l'autre coté du monde, les yeux étaient des portes ouvertes pour recevoir ce rêve utopique, cet atome d'espoir, cette trace, ce soupçon, qui devait exister quelque part dans le monde.
- Katmandou, c'est le pays du Bouddha...Et tous les autres dieux sont là aussi...C'est l'endroit le plus sacré du monde...C'est l'endroit du monde où le visage de Dieu est le plus près de la terre...
- Le Bouddha! dit Eric, et le hachisch en vente libre au marché, comme les radis ou les épinards! Est ce vraiment ça que nous sommes venus chercher ?
- Tu ne comprends rien dit Sylvie, c'est de la joie! Elle tira une autre bouffée de la clope et la tendit à Eric.
- Merci dit il, j'en ai assez pour aujourd'hui.
- Katmandou dit Sylvie, c'est un pays où personne s'occupe de toi, tu es libre, chacun fait ce qu'il veut. Le Paradis quoi ! Il sourit :
- Tu sais ce que c'est, le Paradis, toi ?
- Moi, j'imagine...C'est un endroit où personne t'oblige ni te défend...Ce que tu as besoin tu ne le prends pas aux autres, les autres te le donnent, et toi tu donnes ce que tu as...On partage tout, on aime tout, on aime tous... On n'a que de la joie.
- Avec musique d'anges et flûtes de paon ! dit Eric en souriant.
- Tu rigoles, mais c'est possible sur terre si on veut. Et toi qu'est-ce que t'es venu chercher à Katmandou ?
- Et si c'était l'amour ? dit il.
- L'amour des autres ou l'amour de ta vie ?
Elle sourit et tomba dans ses bras. Cherchant leurs lèvres les yeux fermés, les ouvrant d'un baiser chargé de promesses, mêlant la fouge et la tendresse, un long chaud et humide baiser...il avait la révélation de ses formes, sa saveur, sa tiédeur, son arôme. Il la souleva, l'emporta, et la posa devant le Bouddha aux yeux ouverts, la où il y avait trois lampes de cuivre allumées. Il lui ôta sa robe, Elle était mince mais pas maigre, faite de longues courbes douces, les pointes de ses seins menus étaient comme de délicieux grains de raisins. Il lui répétait : tu es belle!, tu es belle!. Elle riait, heureuse de lui entendre dire. Il la contemplait nue et de ses doigts fervents parcourant la géographie de son corps, jalonnant sa conquête de caresses, se mit à escalader ses collines, à explorer ses vallées. Jamais elle n'avait profité avec autant d'allégresse de la fête des sens, elle découvrait cet abandon de soi sans aucunes réserves propre à ceux qui font l'amour avec amour..................
Qu'est-ce qu'il avait de plus que les autres ce garçon ? Oui il était beau, oui il lui avait fait l'amour comme personne d'autre avant, mais ce qu'elle avait éprouvé, c'était autre chose qu'un plaisir plus grand que les fois précédentes. Elle soupire, sourit et se blottit contre lui, ballottée par l'ouragan de ses sentiments, la sensation d'être épanouie, d'offrir un corps si généreux, convaincue de n'avoir vécu jusque là que pour cette nuit miraculeuse. Eric la regarde avec un tendre sourire, éblouis par la rencontre de leurs corps, magnifié par l'amour partagé. Ils avaient fait l'amour jusqu'à l'aube, et maintenant, s'étant immergé dans la profonde intimité de cette femme, il éprouvait ce détachement des jeunes mâles dont le corps se refait des forces.
- Fais attention aux filles!...dit elle, c'est bien agréable un moment, mais tout le temps, quelle plaie!...
Ils avaient rencontré des hippies de toutes provenances, tous plus ou moins perdus dans le nuage, la nonchalance, la torpeur de la drogue. Les voyageurs venus de tous les coins de la terre allaient à travers les campagnes, croyant comprendre et ne comprenant rien, ayant perdu leur monde sans en trouver un autre, errant à la recherche d'une raison d'être, noyant dans des plaisirs artificiels le souvenir de ce qu'ils avaient quitté et l'angoisse de ne rien trouver pour remplacer ce qu'ils refusaient.
Le soir, ils allumèrent leur feu au fond d'un petit vallon où coulait un ruisseau. Ils avaient acheté du riz, John le fit cuire dans une gamelle, ils le mangèrent sans aucun assaisonnement. Ils commençaient à s'habituer aux goûts simples, essentiels, de la nourriture qui n'est faite que pour nourrir.

Francisco était assis dans la position du lotus, en face du Bouddha couleur safran, il était heureux et léger comme un oiseau entre ciel et terre. Il avait à peine mangé et fumé deux cigarettes, à la troisième, il avait compris qu'il était en communication avec le Bouddha qui voyait tout partout et dans toutes les directions, le regardant à travers ses paupières closes avec son inimitable sourire de félicité. Francisco comprit ce que le Bouddha lui disait et, pour lui répondre, prit sa guitare et la posa contre lui. Il aspira une longue bouffée de sa clope et il savait alors ce qu'il devait dire, où il devait poser sa main, quelle corde pincer, avec quelle juste note et de quelle juste parole il devait s'adresser au Bouddha.

- J'en ai marre de ces histoires de Bouddha dit Eric, je n'y crois pas, c'est du délire, c'est pas pour ça qu'on est venu ici, viens on rentre.
- Rentrer pour quoi faire, pour retrouver le Dieu argent, pour retrouver cette vie pourrie par la drogue du fric ?
- Du fric on va bientôt plus en avoir, qu'allons nous faire ? Nous prostituer, vendre notre sang, c'est ça que tu veux ?
Puis il s'approcha d'elle, allongea son bras sur ses épaules et se mit à lui parler tout doucement, lui répétant sans cesse la même chose :
- Tu es belle, je t'aime, je t'emmènerai, nous serons heureux, tout va bien, nous irons au bout du monde, avec la seule drogue de l'amour.
Elle ne l'écoutait déjà plus.
Comment l'amener hors de ce pays de sables mouvants où s'enfonçaient dans le poison de la drogue et dans la mort tant de garçons et de filles venus de tous les endroits du monde, attirés par le mirage de la liberté, de la fraternité entre tous les êtres vivants, et de la proximité de Dieu ?

- Et bien casses toi dit elle en le repoussant, mais moi je reste, je suis libre, c'est pas toi qui me commande.
Et ils partirent chacun de leur coté.

L'Himalaya!...pensa Eric, cet univers démesuré de neige et de glace, ces panoramas d'exception, ces massifs mythiques, ces versants sauvages et chaotiques...les secrets qu'elle recèle, la puissance sur humaine qu'elle dégage, le halo de mystère et de terreur qui l'entoure, tout cela impose le respect et l'humilité face à la montagne.
- Je me suis fait tout petit devant ce monstre de beauté, de force et d'énergie, dit il.
L'envergure, l'aspect grandiose et farouche des chaînes de l'Himalaya lui donnèrent envie de partir à l'assaut de ces célèbres sommets, les conquérir peut être, de partager la vie profonde et secrète de la montagne, de se mesurer à elle, de goûter à sa prodigieuse richesse, à sa fascinante diversité.
L'Himalaya, c'est aussi le spectacle vivifiant des pentes verdoyantes tapissées d'Asphodèles et de Jacinthes, les forêts de conifères abritant des buissons flamboyants de Rhododendrons.
Le miroir immense de la montagne mythique envoyait vers la vallée des couleurs harmonieuses, une lumière douce, pure et légère, suc des étoiles, perle du firmament, lumière divine qui pénétrait la lumière ordinaire et irradiait en elle, se posant délicatement sur chaque paysage, chaque arbre, chaque fleur, chaque être vivant et l'enveloppait d'une beauté intense. Il rendait la vie douce et parfumée, l'effort heureux.
Oui, il en était sur.

- Désormais je suis définitivement dégagé de cette ordure de hachisch, pour moi il y a deux drogues dans la vie, la drogue de la montagne et la drogue de l'amour, de l'amour de Sylvie.

Il se mit à la chercher, petit oiseau que le vent pousse à son gré, petite perle en danger perdue au milieu de tous ces garçons et filles paumées à la recherche d'eux mêmes.
il passa entre les deux gardiens du temple accroupis en bas de l'escalier. En face il aperçut un groupe de hippies, avec de longs cheveux, de longues barbes, des vêtements excentriques et bizarres, et tout cela pas très propre. Il reconnut l'odeur de la marihuana, forte et acre . Des garçons et des filles enveloppés de brouillard et de mélancolie, étaient en train de fumer le fameux hachisch de Katmandou. Le groupe l'accueillit avec nonchalance.
- Sylvie ? Sylvie ? You know Sylvie ?
Ils répondirent non en allemand, en anglais...., non ils ne connaissaient pas Sylvie.
Il la chercha encore toute la journée. Il parcourut Katmandou rue par rue, interrogea tous les hippies.
Il arriva sur un terrain vague où des animaux cherchaient un peu de nourriture dans les détritus. Une chèvre était en train d'avaler après l'avoir déchiré, une petite culotte qui séchait sur un fil de fer barbelé tout rouillé. Il s'approcha d'un groupe de hippies s'étant rassemblé la, près d'une cabane, fumant, rêvant, chantant, s'endormant sur place, faisant l'amour et leurs besoins dans un coin d'ombre ou dans la cabane. Sur cette foule si jeune, limite puérile, était posé un voile de fatalisme, de lassitude, d'indifférence, et de vieillesse qui étouffait les manifestations de la fabuleuse aventure qu'est la vie. En se retournant pour s'en aller, il vit Sylvie. Elle était la, couchée en chien de fusil, à la limite de la vase, une joue à plat sur le sol, ses cheveux ébouriffés lui couvrant le visage, son blue-jean souillé de boue. Un chien leva la patte arrière sur elle. Eric se précipita et d'un coup de pieds frappa l'animal qui s'enfuit la queue entre les pattes. Olivier se baissa, écarta les cheveux de la fille... Ouf ce n'était pas elle. Les yeux hagards, la fille le regarda du fond de l'abîme de la drogue où la compassion d'un être humain et la pisse d'un chien sont des choses égales et futiles. Elle était maigre et paraissait avoir cent ans. Il s'en alla sans se retourner, le coeur soulevé, en se demandant où était Sylvie, cette fille qu'il connaissait à peine, qu'il avait tenue dans ses bras une seule nuit...Il avait la révélation du désastre de son absence, elle était perdue pour lui, mais surtout il avait le sentiment qu'elle allait droit dans le mur s'y fracasser la vie.
Je n'en peux plus se dit il, je commence à délirer, si je ne rentre pas en France dès maintenant je vais devenir fou.
La révélation par le jeune homme, aux parents de Sylvie, de la dramatique aventure de leur fille fit l'effet d'un terrible séisme. Depuis longtemps déjà ils vivaient chacun dans leur monde. Lui dans le monde de l'entreprise où il faut toujours être le meilleur, prendre les bonnes décisions rapidement, où règne le goût du challenge, de la vitesse de la compétition et la règle de la concurrence, où il travaille sans compter ses heures jusque tard le soir, elle dans le monde enseignant, passionnée par son métier et ses élèves, convaincue de l'importance de sa mission de donner l'envie d'apprendre, le goût de la culture, du savoir, de la liberté, persuadée qu'il faut participer à la vie sociale pour améliorer la société dans laquelle on vit. Tout cela leur prend beaucoup de temps. Ils culpabilisent un maximum car ils s'aperçoivent qu'ils n'ont pas vu grandir leur fille, qu'ils n'ont pas prit le temps de l'écouter et surtout, aucun des deux n'a été pour elle, le confident, le guide, le modèle dont tout jeune a besoin pour se construire. Pourquoi avaient ils fuit leur enfant, pourquoi ne lui avaient ils pas donné toute l'affection et l'amour dont elle avait besoin, comment n'en avaient ils pas eu conscience ?
Ecole, collège, lycée, elle avait franchi les étapes sans difficultés, des copines, des copains, son initiation à la vie semblait aller de soi. Quelque fois son silence l'étonnait, elle l'interrogeait du bout des lèvres, sans la regarder, sans obtenir de réponses et elle passait à autre chose. Sylvie allait bien, elle en était sure, une enseignante ne se trompe pas sur un tel sujet.
Elle se remémorait des caprices de sa fille, au demeurant peu nombreux mais terribles. Elle tapait du pied avec insistance,
- Viens maman!! Viens maman!!
et plus tard ses colères, aussi rares que violentes, celle ci, au début de cette année.
- Vous êtes pareil tout les deux, ya que le pognon qui compte, papa avec sa boite, obnubilé par ses résultats, travailler plus pour gagner plus, et toi avec ton syndicat et la politique et ton obsession du pouvoir d'achat!!
- Je ne réponds pas aux provocations
avait elle dit. Le visage dans ses mains elle était KO debout.
- Le passé est passé, le temps n'est pas au remords
dit Jacques qui, protégé par sa carapace de fer et mu par son coeur en argent massif, on or peut être, qui sait, avait déjà pris sa décision, énergique et irrévocable comme d'habitude.

Parcourant Katmandou rue par rue, interrogeant tous les hippies, ils furent très vite convaincu de l'étendue de la catastrophe.
Il y avait beaucoup de garçons et de filles voyageurs, ils arrivaient, ils repartaient, ils revenaient, ils ne se connaissaient pas tous.
Ils virent que les temples étaient, comme la ville, incroyablement vieux, usés, boiteux, inclinés, déglingués, leurs marches édentées, leurs toits échancrés, prêts à crouler sous le poids des ans.

Jacques avait de nouveau senti l'odeur puissante du hachisch. Malgré sa répugnance, il suivit les deux hippies jusqu'à leur chambre. Le garçon poussa la porte et entra le premier. Jacques entra derrière eux, et s'arrêta net sur le seuil. Il n'y avait rien d'autre qu'une rangée de paillasses sur le sol en terre battue, sans drap ni couverture. Des garçons et des filles allongés, dormaient ou fumaient.
Malgré leur quête et leur angoisse, ils devinaient peu à peu ce qui faisait le climat incomparable de Katmandou. Ils rencontraient des dieux partout, et les voyageurs venus le chercher de si loin ne le trouvaient nulle part, car ils oubliaient de le chercher en eux même. Et pourtant pensa-t-il,
- Qu'avons nous à espérer en ce monde, rien qui ne soit en nous, rien du dehors.
Une fille lui fit une offre dans une langue qu'il ne comprit pas, alors elle mit sa main droite à l'endroit de son sexe puis la leva avec ses cinq doigts écartés : five roupies...Il passa sans répondre, le coeur serré dans un étau de fer. Cinq roupies, c'était le prix de la drogue pour une journée. Jacques savait que c'était la dernière ressource des hippies. Quand ils avaient vendu tout ce qu'ils possédaient, ils leur restaient la prostitution pour les filles, et vendre son sang pour les garçons. Les hôpitaux des pays où ils s'étaient échoués étaient toujours preneurs et payaient plutôt bien.

Jacques et Bernadette avaient cherché leur fille toute la journée, ils avaient rencontré des hippies de toutes provenances, tous perdus dans le vide abyssal de la drogue. Aucun ne connaissait leur fille.

- Sylvie!! Sylvie!!..
Elle l'entendit, ouvrit sur le vide ses petits yeux marrons. A genoux, Jacques arrivât près d'elle, tendit les mains, les posa sur ses bras meurtris, sentit sa peau froide comme celle d'un animal mort. Ils se regardaient, joue contre joue, les yeux fermés sans rien dire. Il s'inquiétait de la trouver si absente malgré le bonheur qu'il semblait avoir lu dans ses yeux.
- Tu as maigri...Tu ne manges pas ?...Tu n'as plus d'argent ?.
C'est ainsi qu'ils la trouvèrent, comme une bête maigre qui cherche de la nourriture sans laquelle elle va mourir dans l'heure qui suit. Elle ne savait plus ce qu'elle voyait, ce qu'elle touchait, ses clavicules saillaient. Elle posait ses mains décharnées partout, fouillait sous sa paillasse, gémissait, cherchait encore où elle avait déjà cherché, tournait vers le mur ou vers la porte, elle était en manque, elle n'avait plus d'argent car elle n'avait même plus la force de se prostituer.
Elle tendit vers son père sa main gauche ouverte, paume en l'air, les doigts légèrement recroquevillés, comme tétanisés, les yeux dans le vide :
- Donne! Donne!
Le geste de Sylvie, sa supplique, avait glacé ses parents, en si peu de temps elle en était arrivée la, à mendier son poison comme un pantin désarticulé.
Jacques fit venir un médecin qu'il du convaincre qu'il avait de l'argent.
- Cette jeune fille à laquelle vous vous intéressez, malheureusement il y en a tant dans le même cas, ils viennent ici, garçons et filles, ils croient arriver au paradis, ce n'est que le fond d'un cul de sac. Ils ne peuvent pas aller plus loin, la Chine, l'Himalaya, pas facile hein ? Pas possible. Certains repartent avant qu'il soit trop tard... les autres pourrissent la.
- C'est pour ça qu'il faut que je l'emmène très vite, avant qu'elle soit complètement perdue.
- Emmenez la, emmenez la! si elle le veut bien! elle a sans doute plus besoin de sa drogue que de vous. Pour la guérir il faut un vrai traitement, dans une clinique spécialisée et sérieuse. Ici ça n'existe pas. A Delhi peut-être, en Europe ça serait mieux. Avez vous de l'argent pour l'emmener ?
- Oui,
Sylvie, toujours à moitié dans le cirage, était étendue sur sa misérable paillasse. le médecin était en train de prendre sa tension, il n'en croyait pas ses yeux, ni son cadran, il appuyait de nouveau sur sa poire, lâchait la pression, recommençait :
- Presque zéro...normalement elle devrait être morte. Elle est intransportable, dans l'immédiat, je vais lui faire une perfusion et il faudra la nourrir dès qu'elle sera en état de manger, des bouillies, comme un bébé. Pour l'héroïne, on ne peut pas l'en priver, cela la tuerait.

Une vie marginale, communautaire, en nomade, à la cool faite de sexe, de musique et parfois de drogue,
c'était les années hippie, baba cool, peace and love ... Les années 60, 70 ... putain de temps qui passe !!!


si on meurt à cet âge, fatalement c'est un crime, c'est que quelqu'un vous a tué ou qu'on vous a laissé mourir.

1968 dans le monde et dans son contexte

Lorsque éclate l'année de braise, le feu couve depuis longtemps. Si la dénonciation de la guerre du Vietnam, la contestation de la société de consommation et de l’autorité, sont les dénominateurs communs des révoltes en Occident, à l'Est, c'est l'aspiration à la liberté, à desserrer l'étau du communisme stalinien qui anime la jeunesse.
Lorsqu’on évoque l’année 1968, certaines images apparaissent immédiatement, des images violentes, qu’il s’agisse des voitures en flammes dans les rues de Paris, d’une fillette vietnamienne qui, après un bombardement, fuit nue, la cruauté des hommes, ou des gardes rouges de Pékin obligeant des vieillards à s’humilier lors de séances publiques d’autocritique.
On arrive à l'apogée des Trente Glorieuses, la société de consommation s'installe sans qu'on prenne vraiment conscience de toutes ses implications et des déséquilibres mondiaux qui se développent.
Les soixante-huitards croient pouvoir changer le monde en rejetant toutes les formes d'autorité, parents, enseignants, gouvernements. Les jeunes se voyaient différents de leurs parents, voire se définissaient par opposition à leurs valeurs.

En France :

Le 24 août 1968 a lieu le premier essai d'une bombe H, sur l'atoll de Mururoa dans l'océan Pacifique.
Le contexte social est loin d'être serein dans la période qui précède. La croissance économique exceptionnelle, proche de 6% par an, s'accompagne d'une organisation quasi-militaire dans les usines, et de fortes inégalités. Les droits des femmes sont quasi inexistants.
Le mécontentement naissant dans le milieu étudiant sera relayé par celui qui se profilait depuis plusieurs années dans le secteur ouvrier. Ainsi, après la grande grève des mineurs en 1963, l'année 1967 est le théâtre de nombreux conflits sociaux, comme à Dassault, Rhodia, Berliet ou aux Chantiers de l'Atlantique. Selon un responsable cégétiste, on compte 350 arrêts de travail à Renault Billancourt durant les quatre premiers mois de 1968.
L'explosion de mai est d'une ampleur incomparable, avec sept à dix millions de grévistes, selon les diverses estimations, alors qu'il n'y en avait qu'environ deux millions lors du Front populaire en 1936.

Aux Etats-Unis :

C’est la ségrégation raciale et la guerre du Viêt-Nam.
La révolution sexuelle, enclenchée par la pilule contraceptive, est en marche. Faites l'amour, pas la guerre, disent les hippies qui expérimentent de nouvelles formes de vie communautaire.
Des étudiants refusent de servir au Vietnam. Des militants pacifiques réclament les droits civiques pour les noirs.
Militant inlassable contre la ségrégation raciale, le pasteur noir Martin Luther King, prix Nobel de la Paix 1964, est assassiné le 4 avril 1968 par un ségrégationniste blanc à Memphis, Tennessee. Des émeutes secouent les grandes villes américaines, dont Washington. Peu après, le président Lyndon Johnson signe la loi sur les droits civiques.
Dès 1965, Johnson, le successeur de John Kennedy assassiné en 1963, décide les raids aériens sur le Nord-Vietnam, accusé de prêter main-forte au Viêt-Cong. Entre 1965 et 1968, on passe de 180 000 soldats américains à 550 000. Les moyens mis en œuvre par les États-Unis sont colossaux et visent à anéantir la capacité de résistance du Nord et du Viêt-Cong : bombardements intensifs de digues, utilisation de bombes au napalm, de défoliants.
Au début de 1968 Johnson croit pouvoir annoncer une prochaine victoire américaine, c’est alors qu’éclate l’offensive du Têt : des centaines de villes du sud sont occupées par le Viêt-Cong. Il décide d’entamer des négociations, elles débutent à Paris, en mai 1968. À l’approche des élections présidentielles il annonce qu'il ne sera pas candidat et son abandon des bombardements, mais cela ne suffit pas et c’est un président républicain qui est élu : Richard Nixon.
Le nouveau président décide, le retrait progressif des troupes américaines du Viêt Nam en les remplaçant par des combattants sud-vietnamiens, les bombardements sur le territoire du Cambodge, puis le renversement du régime en place, et enfin il signe avec le Nord Vietnam, un accord de paix, le 27 janvier 1973 à Paris.

En Chine :

En 1966, Mao décida de lancer la révolution culturelle. Il souhaitait purger le PC Chinois de ses éléments révisionnistes et lutter contre la bureaucratie.
Les gardes rouges, groupes de jeunes inspirés par les principes du Petit Livre rouge en deviennent les bras actifs. Ils instaurent une remise en cause de toute hiérarchie. Les intellectuels furent publiquement humiliés, les mandarins et les élites bafouées, les valeurs culturelles chinoises traditionnelles et certaines valeurs occidentales étaient dénoncées au nom de la lutte contre les quatre vieilleries. C'est ainsi que des milliers de sculptures et de temples, bouddhistes pour la plupart, furent détruits. Une période de chaos s'ensuivit qui mena la Chine au bord de la guerre civile. Pendant trois ans, jusqu’en 1969, les gardes rouges commirent de nombreuses exactions, la révolution culturelle serait responsable de la mort de 400.000 à 1 million de personnes.
Dans une certaine mesure, le maoïsme va inspirer les mouvements de 1968 qui éclatèrent un peu partout dans le monde.

En Asie :

le conflit sino-soviétique, public depuis 1962, atteint son apogée en 1967 quand les deux États rompent leurs relations diplomatiques. 1968 est une année de très forte tension entre les deux rivaux, des affrontements armés ont lieu en 1969. Les rivalités sont apparemment idéologiques : la Chine accuse l’URSS de révisionnisme, de tiédeur, l’URSS critique violemment la Révolution Culturelle en cours à Pékin, en réalité les deux rivaux s’affrontent pour la domination du camp communiste.

En Italie :

Le mouvement étudiant de 1968, surnommé le mai rampant en raison de sa durée, a, contrairement à d'autres pays, réussi la jonction avec le monde ouvrier. La révolte déclenchée dans les universités y a été exceptionnellement longue, débutant en 1966 avant de faire tâche d'huile en 1967. Le mouvement connaît son apogée en 1968 pour se prolonger jusqu'à l'automne 69.
La contestation étudiante fait également évoluer une société encore très corsetée par l'Eglise catholique. Sans les événements de 1968, nous n'aurions eu ni le divorce -1970-, ni l'avortement -1978-, assure Giorgio Galli. L'Eglise est elle-même secouée par la bourrasque. Les fidèles réclament une Eglise plus proche des pauvres, moins hiérarchisée.
Après 1968, c'est une page noire qui s'ouvre avec les années de plomb, (1969-fin des années 80), marquées par des attentats.

En Pologne :

Le pays a connu, début 1968, une des premières révoltes estudiantines en Europe. Déclenchées par l'interdiction d'un spectacle jugé antisoviétique, des manifestations d'étudiants contestataires du régime communiste, sont réprimées par la police. Une vaste purge politique frappe les étudiants et conduit à l'expulsion des juifs du Parti ouvrier unifié polonais.
Cette campagne antisémite se solde par le départ de Pologne de quelque 20.000 personnes, dont 13.500 déchues de leur nationalité polonaise dans les années 1968-1970.

Au Mexique :

La révolte étudiante débouche le 2 octobre sur un massacre. Le gouvernement qui prépare les jeux Olympiques fait feu sur les manifestants à Mexico, faisant 200 à 300 morts.
Sur le podium de Mexico, deux athlètes noirs américains salueront le poing levé, pour revendiquer le pouvoir aux noirs, première manifestation politique aux jeux Olympiques.

En Tchécoslovaquie :

Le printemps fut comme le jaillissement d'une énergie longtemps étouffée : avec la fin de la censure, un vent de liberté soufflait partout, symbole d'une nouvelle espérance.
Alexander Dubcek, après sa nomination en janvier 1968 à la tête du parti communiste tchécoslovaque, tenta son socialisme à visage humain. Une voie originale que le Kremlin n'accepta pas et réprima par la force en août de la même année.
L'arrivée de Dubcek, c'était comme celle de Gorbatchev vingt ans plus tard. On peut la voir comme une ultime tentative de réhabiliter une généreuse idée, avant qu'elle ne se vide totalement de sa substance.
La censure levée, un vaste débat agite toutes les couches sociales, sur les cruautés staliniennes commises après le putsch communiste à Prague en 1948, mais aussi sur l'état de la culture et de l'économie. Des réformes économiques et politiques sont engagées par Dubcek, qui espère les voir entérinées en septembre 1968 par un congrès extraordinaire du parti.
A cette époque-là, les gens et surtout les jeunes ont eu l'impression qu'il fallait vraiment faire quelque chose de nouveau après ces années 1950 où la peur était omniprésente.

Ailleurs dans le monde :

Les affrontements se multiplient. En Egypte, les manifestations, en avril et mai 1968, centrées sur la Palestine, vont se prolonger dans le mouvement étudiant de 1972 qui va interpeller la politique de Sadate. Les manifestations étudiantes prennent de l’ampleur au Pakistan. À Alger, les étudiants vont amener Boumediene à infléchir sa politique. Au Sénégal, les manifestations étudiantes sont vives dès 1968.

Que reste-t-il de cette époque ?

Un changement durable des rapports entre races, sexes et générations. Dans les écoles, dans les familles, dans les entreprises, le devoir de convaincre à remplacé l'exercice de l'autorité. Enfin, pas toujours ! Les législations ont reconnu les droits des femmes. L'homosexualité a été progressivement acceptée. La libérté, l'affirmation et la primauté de l'individu deviennent la règle.

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